Sous quel aspect se présentera l’Église en l’an 2000 ? Joseph Ratzinger en 1970

Publié le par Olivier Rolland

Il y a un peu plus de quarante ans, et presque dix ans avant d’être nommé évêque par Paul VI, celui qui était alors prêtre et professeur de Théologie à Tübingen et ensuite à Ratisbonne, le Docteur Joseph Ratzinger, fit une série de conférences radiophoniques dans son pays. La maison d’édition Kösel-Verlag de Munich les réunit en 1970 et publia un livre de cinq chapitres sous le titre « Glaube und Zukunft » (Foi et avenir) traduit l’année suivante en espagnol (Fe y futuro). Grâce aux éditions Desclée de Brouwer, qui ont réédité « Fe y futuro », nous traduisons cet article de Humanitas, pour sa richesse et sa brûlante actualité, qui reproduit le cinquième chapitre de ce livre.

Le théologien n’est pas un devin. Il n’est pas non plus un futurologue qui, à partir de facteurs calculables dans le présent, fait des calculs sur le futur. Son travail échappe en grande partie au calcul ; tout au plus pourrait-il parvenir à être objet de la futurologie, qui n’est pas non plus divinatoire, mais qui se contente d’établir ce qui est calculable et doit laisser en suspens ce qui ne l’est pas. Puisque la foi et l’Église pénètrent jusque dans la profondeur de l’être humain, là d’où sort toujours du nouveau, créé, inattendu et non planifié, son avenir demeure caché pour nous, même à l’époque de la futurologie. Qui aurait osé prédire, à la mort de Pie XII, le Concile Vatican II ou l’évolution post-conciliaire ? Qui aurait pu prédire le Concile Vatican I quand Pie VI, séquestré par les troupes de la jeune République française, mourut prisonnier à Valence en 1799 ? Trois ans auparavant, un des dirigeants de cette république avait écrit : « Cette vieille idole sera détruite.  C’est ce que veulent la liberté et la philosophie... Il faut espérer que Pie VI vive encore deux ans pour donner à la philosophie le temps de compléter son œuvre et laisser ce lama d'Europe sans successeur ».[1] Et il semble bien qu’il en était ainsi au vu des oraisons funèbres de la papauté que l’on tenait déjà pour définitivement éteinte.

Soyons donc prudents avec les pronostics. Elle est encore vraie cette parole de St Augustin selon laquelle l’être humain est un abîme ; personne ne peut observer d’avance ce qui sort de cet abîme. Et quiconque croit que l’Église n’est pas seulement déterminée par cet abîme de l’être humain, mais qu’elle se fonde sur l’abîme infini de Dieu, possède des raisons plus que suffisantes pour s’abstenir de toute prédiction dont les réponses immédiates ne révèleraient qu’ignorance de l’histoire. Mais alors, le thème de notre entretien a-t-il un sens ? Il peut en avoir un si l’on est conscient de ses limites. Précisément en une période de violentes convulsions historiques au cours desquelles paraît s’évanouir tout ce qui existait jusqu’à ce moment, et apparaître qqch de complètement nouveau, l’être humain a besoin de réfléchir sur l’histoire, pour voir à sa juste mesure le présent, grossi de manière irréelle, et insérer de nouveau ce présent dans un déroulement qui jamais ne se répète, et qui ne perd non plus jamais son unité ni son contexte. Alors, vous pourriez dire : « Avons-nous bien entendu ? Réfléchir sur l’histoire ? Mais cela signifie diriger notre regard vers le passé, alors qu’en réalité nous voulions regarder l’avenir. » Oui, vous avez bien entendu, mais je pense que la réflexion sur l’histoire, si elle est bien comprise, contient les deux : un regard rétrospectif vers ce qui a précédé et, partant de là, la réflexion sur les possibilités et les tâches de l’avenir, qui ne peuvent être éclairées que si on embrasse du regard une portion plus grande du chemin et si on ne se referme pas ingénument sur le présent. Le regard rétrospectif ne permet pas de prédire l’avenir, mais limite l’illusion que ce qui se présente est comme complètement unique, et montre comment dans le passé il a existé quelque chose de comparable, même si ça n’était pas identique. L’incertitude dans ce que nous affirmons et la nouveauté de ce que nous avons à faire se fondent dans la différence entre alors et maintenant ; et dans la ressemblance se fonde la possibilité d’orienter et de corriger l’avenir.

Notre situation ecclésiale actuelle est comparable avant tout à la période du modernisme, à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème et en second lieu à la fin du « Rococo », ouverture définitive de l’époque moderne avec les Lumières et la Révolution française. La crise du modernisme ne se réalisa pas complètement simplement parce qu’elle fut interrompue par les mesures prises par Pie X et par le changement de situation spirituelle après la première guerre mondiale ; la crise actuelle n’est que la reprise, différée pendant un long moment, de ce qui avait alors commencé. Il y a aussi l’analogie avec l’histoire de l’Église et de la théologie des Lumières. Celui qui l’analyse attentivement sera surpris par le degré de similitude entre ce qui s’est passé alors et ce qui se passe aujourd’hui. Les « Lumières », comme période historique, n’a pas aujourd’hui bonne réputation ; même celui qui suit ses traces prend ses distances avec le rationalisme de cette époque, excessivement simpliste, s’il prend la peine de se rappeler une histoire déjà connue. Nous pouvons déjà avoir ici une première analogie : le refus obstiné de l’histoire, qui n’a de valeur que comme débarras du passé, et ne peut donc être utile pour un aujourd’hui complètement nouveau ; la certitude, assurée de sa victoire, que maintenant on ne doit plus agir selon la tradition, mais seulement sur le mode rationnel ; l’utilisation généralisée de paroles comme rationnel, transparent, et autres du même genre. Tout cela se retrouve de manière surprenante alors et aujourd’hui. Mais bien avant tous ces faits, selon moi négatifs, il faudrait contempler cet étrange mélange de pétitions de principe et d’initiatives positives qui rapproche les tenants des Lumières d’alors et d’aujourd’hui, et qui déjà ne permet pas de considérer ce qui se passe aujourd’hui comme quelque chose de complètement nouveau et hors de comparaison.

Les Lumières ont eu leur mouvement liturgique, avec son intention de simplifier la liturgie, la réduisant à sa structure fondamentale et originaire ; il fallait éliminer les excès du culte des reliques et des saints, et surtout, introduire dans la liturgie la langue vernaculaire, et st, spécialement le chant populaire et la participation communautaire. Les Lumières ont eu leur mouvement épiscopal qui entendait souligner, en face d’une centralisation unilatérale de Rome, l’importance des évêques ; les Lumières ont eu leurs composantes démocratiques comme, par exemple, le cas du vicaire général de Constance, Wessenberg, qui exigeait des synodes diocésains et provinciaux démocratiques. Quand on lit ses œuvres, on a l’impression de rencontrer un progressiste de notre époque : il demande l’abolition du célibat, n’admet que les formules sacramentelles en langue vernaculaire, bénit des mariages mixtes sans rien exiger pour l’éducation des enfants, etc. Que Wessenberg se préoccupe de prêcher régulièrement et d’élever le niveau d’instruction religieuse, qu’il cherche à créer un mouvement biblique et beaucoup d’autres initiatives semblables, cela seul démontre une fois de plus que chez ces personnes, il n’y avait pas qu’un rationalisme aux vues étroites. Mais malgré cela, il demeure une figure contradictoire, parce que, en fin de compte, il ne se sert de la raison qui construit que comme du sécateur, qui peut faire de bonnes choses, mais qui n’est pas le seul outil d’un jardinier[2]. C’est une même impression d’incohérence que procure la lecture du synode de Pistoie, un concile des Lumières, auquel ont participé 234 évêques, qui fut célébré dans le nord de l’Italie en 1786 et qui essaya de transmettre les idées de réforme de ce temps dans la réalité ecclésiale, mais échoua – et ce n’est pas la raison la moins importante – à cause d’un mélange d’authentique réforme et de rationalisme naïf. De nouveau, le lecteur croit lire un livre postconciliaire quand il rencontre la thèse selon laquelle le ministère sacerdotal ne fut pas institué directement par le Christ, mais qu’il procède uniquement du sein de l’Église, laquelle est entièrement sacerdotale sans distinction aucune ; ou quand il entend qu’une messe sans communion n’a pas de sens, ou quand le primat du pape est décrit comme quelque chose de purement fonctionnel ou, inversement quand il met l’accent sur  l’épiscopat de droit divin[3]. Déjà en 1794 furent condamnées par Pie VI une grande partie des propositions de Pistoie ; le caractère unilatéral de ce synode a discrédité également ce qu’il pouvait contenir de positif.

Pour savoir où se rencontrent ou pas les éléments porteurs de l’avenir, il me semble que le plus instructif est de réfléchir sur les personnes et sur les groupes similaires d’une même époque. Nous ne pouvons que choisir, cela est bien clair, quelques types caractéristiques dans lesquels se fait apparente l’amplitude des possibilités d’alors, et en même temps et de nouveau, la stupéfiante analogie avec notre temps. En effet, il y avait les progressistes extrêmes, représentés par exemple, par la triste figure de l’archevêque parisien Gobel, qui emboîta vaillamment le pas du progrès de son temps : d’abord en faveur d’une Église nationale constitutionnelle ; ensuite comme si cela n’était pas déjà suffisant, il renonça sollennellement au sacerdoce, déclarant que, depuis l’heureux commencement de la Révolution, il n’y avait plus besoin d’un autre culte que celui de la liberté et de l’égalité. Il participa à l’adoration de la déesse Raison à Notre Dame, mais à la fin, le progrès l’a rattrapé : sous Robespierre, l’athéisme est redevenu soudain un délit et l’archevêque fut conduit à la guillottine comme athée, et exécuté[4].

En Allemagne, la situation se présenta plus tranquillement. Il y aurait juste à mentionner comme progressiste classique, par exemple, le directeur du Georgianum de Munich, Matthias Fingerlos. Dans son œuvre Wozu sind Geistliche da ? [Qu’y a-t-il de spirituel là dedans ?] il explique que le prêtre doit être avant tout un maître pour le peuple, qu’il doit enseigner au peuple l’agriculture, l’élevage, la culture des fruits, le paratonnerre, mais aussi la musique, et l’art – aujourd’hui on dirait : le prêtre doit être d’abord un travailleur social et se mettre au service d’une société rationnelle, purifiée de tout irrationnel[5] –. Au centre, comme progressiste modéré, on pourrait situer la figure du déjà mentionné vicaire général de Constance, Wessenberg, qui en aucune manière n’aurait accepté la réduction de la foi au travail social, mais qui, d’un autre côté, montrait peu de compréhension pour ce qui est organique, vivant, ce qui échappe aux pures constructions de la raison. Nous erncontrons un ordre de valeurs complètement différent dans la figure de l’évêque de Ratisbonne d’alors, Johann Michael Sailer. Il demeure difficile de le ranger sous une catégorie. Les catégories habituelles de progressisme et de conservatisme résistent devant lui, comme le montre déjà le cours de sa vie : en 1794, accusé de rationalisme, on lui retira le siège de Dillingen ; encore en 1819 sa nomination comme évêque d’Augsburg échoua, entre autres raisons à cause de l’opposition de Clemens Maria Hofbauer, plus tard canonisé, qui le considérait toujours comme rationaliste. D’un autre côté, déjà en 1806, son disciple Zimmer fut renvoyé de l’université de Landshut, avec l’accusation de réactionnaire ; dans cette université, on s’opposait à Sailer et à son cercle d’influence comme d’authentiques ennemis des Lumières : le même homme considéré toujours par Hofbauer comme rationaliste était tenu par les véritables partisans du rationalisme comme leur adversaire le plus dangereux[6].

Ils avaient raison. De cet homme et du large cercle de ses amis et disciples surgit un mouvement qui possédait en lui-même une postérité bien plus grande que l’arrogante présomption des rationalistes purs. Sailer était un homme ouvert à toutes les questions de son temps. L’antique école jésuite de Dillingen, dont le système bien structuré depuis longtemps ne pouvait pas laisser entrer la réalité, devait lui paraître insuffisante. Kant, Jacobi, Schelling et Pestalozzi sont ses interlocuteurs : pour lui la foi n’est pas liée à un système d’énoncés, et ne doit pas être maintenue moyennant la fuite vers l’irrationnel, mais doit subsister dans un contraste ouvert avec le présent. Mais le même Sailer connaissait la grande tradition théologique et mystique du Moyen Age avec une profondeur inaccoutumée à son époque, et c’est pourquoi il ne réduisait pas l’être humain au présent, mais il savait que seul celui qui s’ouvre avec un profond respect et attention à toute la richesse de son histoire peut pénétrer en lui-même. Et surtout, Sailer ne faisait pas que penser, il vivait ce qu’il pensait. Il recherchait une théologie du cœur, non pas comme un sentimentalisme bon marché, mais parce qu’il considérait comme important l’être humain complet, qui parvient à l’unité à cause de la compénétration de l’esprit et du corps, des profondeurs cachées du sentiment et de la clarté visible de l’entendement. « On ne voit bien qu’avec le cœur » disait Antoine de Saint-Exupéry. En comparant le progressisme sans vie de Matthias Fingerlos avec la richesse et la profondeur de Sailer, on peut toucher du doigt à quel point cela est vrai. On ne voit bien qu’avec le cœur : Sailer avait une vue profonde parce qu’il avait du cœur. De lui pouvait surgir quelque chose de neuf, porteur d’avenir, parce qu’il vivait de ce qui est permanent et qu’il mettait au service de cette fin sa vie et son être propre. Avec lui nous sommes parvenus au point décisif : seul celui qui se considère lui-même crée de l’avenir. Celui qui ne veut qu’enseigner, qui ne veut que changer les autres, demeure stérile.

Ainsi nous sommes parvenus à cet autre homme qui fut l’adversaire aussi bien de Sailer que de Wessenberg : Clemens Maria Hofbauer, le boulanger bohémien qui fut canonisé[7]. Certainement cet homme était, par certains aspects, étroit de vue et même un peu réactionnaire. Mais c’était un homme qui aimait, qui se mettait au service des autres avec passion. D’un côté, appartenaient à son cercle d’amis des hommes comme Schlegel, Brentano, Eichendorff ; d’un autre côté, il était inconditionnellement à la disposition des plus pauvres et abandonnés, sans se réserver rien pour lui-même, disposé même à assumer quelque offense pour pouvoir aider les autres. De cette manière, les autres pouvaient découvrir de nouveau Dieu à travers lui, comme lui-même, à partir de Dieu, avait découvert les autres, et savait qu’ils avaient besoin de bien plus que d’instruction ou d’apprendre l’élevage ou la culture des fruits. En réalité, la foi de ce pauvre boulanger finit par être plus humaniste et raisonnable que la rationalité académique des rationalistes purs. De fait, ce qui a survécu et ce qui a surgi dans l’avenir, des ruines du 18ème siècle, fut quelque chose de complètement différent de ce qu’avaient supposé Gobel ou Fingerlos : ce fut une Église qui était devenue plus petite, qui avait perdu une splendeur sociale, mais qui en même temps était devenue plus féconde à cause de sa nouvelle force intérieure et qui, à travers de grands mouvements de laïcs et de nombreuses et nouvelles fondations religieuses, depuis le milieu du 19ème siècle, procura de nouvelles forces pour la formation et la réalité sociale, à tel point qu’il n’est pas possible d’imaginer notre histoire récente sans elles.

Ainsi nous sommes arrivés à notre présent et à la réflexion sur l’avenir. L’avenir de l’Église ne peut venir et ne viendra aujourd’hui que de la force de ceux qui ont des racines profondes et vivent de la pure plénitude de leur foi. L’avenir ne viendra pas de ceux qui donnent seulement des recettes. Il ne viendra pas de ceux qui ne font que s’adapter au temps présent. Il ne viendra pas de ceux qui se contentent de critiquer les autres et se considèrent eux-mêmes comme d’infaillibles donneurs de leçons. Il ne viendra pas non plus de ceux qui ne choisissent que le chemin le plus facile, de ceux qui évitent la passion et qui déclarent faux et dépassé, tyrannique et légaliste, tout ce qui est exigeant pour l’être humain, ce qui fait souffrir et l’oblige à renoncer à lui-même. Disons-le de manière positive : l’avenir de l’Église, aujourd’hui comme toujours, sera de nouveau marqué par l’empreinte des saints. Et par conséquent, par des êtres humains qui perçoivent mieux que les phrases qui sont précisément modernes.

Par ceux qui peuvent voir plus que les autres, parce que leur vie comprend des espaces plus larges. La gratuité qui libère ne s’obtient qu’avec la patience des petits renoncements quotidiens à soi-même. Dans cette passion quotidienne, la seule qui permet à l’être humain d’expérimenter de combien de manières différentes son propre moi l’entrave, dans cette passion quotidienne et seulement en elle, s’ouvre l’être humain petit à petit. Lui seul voit, dans la mesure de ce qu’il a vécu et souffert. Si aujourd’hui nous pouvons encore à peine percevoir Dieu, on le doit au fait qu’il nous est très facile de nous éviter nous-mêmes, de fuir la profondeur de notre existence, anesthésiés que nous sommes par la recherche du confort. Ainsi ce qui est le plus profond en nous demeure sans être exploré. S’il est vrai qu’on ne voit bien qu’avec le cœur, quels aveugles nous sommes tous ![8]

Que signifie ceci pour notre thème ? Cela signifie que les grandes paroles de ceux qui prophétisent une Église sans Dieu et sans foi sont des paroles vides. Nous n’avons pas besoin d’une Église qui célèbre le culte de l’action dans des « prières » politiques. C’est complètement superflu et pour cette raison cela disparaîtra de soi-même. Demeurera l’Église de Jésus Christ, l’Église qui croit dans le Dieu qui s’est fait être humain et qui nous promet la vie au-delà de la mort. De la même manière, le prêtre qui serait un fonctionnaire social peut être remplacé par des psychothérapeutes et autres spécialistes. Mais demeurera encore nécessaire le prêtre qui n’est pas un spécialiste, qui ne se tient pas en retrait lorsqu’il conseille dans l’exercice de son ministère, mais qui, au nom de Dieu, se tient à la disposition des autres et se consacre à eux dans leur tristesse, leur joie, leurs espérances et leurs angoisses.

Avançons d’une pas. Encore une fois, de la crise d’aujourd’hui surgira demain une Église qui aura beaucoup perdu. Elle sera devenue petite, elle aura à tout recommencer depuis le début. Elle ne pourra plus remplir bcp des édifices construits dans une conjoncture plus favorable. Elle perdra des adeptes, et avec eux beaucoup de ses privilèges dans la société. Elle se présentera d’une manière beaucoup plus intense que jusqu’à maintenant, comme la communauté du libre vouloir, à laquelle on ne peut accéder qu’à travers une décision. Comme petite communauté, elle demandera avec beaucoup plus de force à chacun de ses membres des initiatives. Certainement elle connaîtra aussi de nouvelles formes de ministère et ordonnera prêtres des chrétiens éprouvés qui continueront à exercer leur profession : dans beaucoup de communautés plus petites et dans des groupes sociaux homogènes, la pastorale s’exercera normalement de cette manière. À côté de ces formes, demeurera indispensable le prêtre consacré entièrement à l’exercice de son ministère comme jusqu’à maintenant. Mais dans ces changements qu’on peut supposer, l’Église rencontrera de nouveau et avec toute sa détermination, ce qui est essentiel pour elle, ce qui a toujours été son centre : la foi dans le Dieu trinitaire, en Jésus Christ, le Fils de Dieu fait homme, l’aide de l’Esprit Saint qui durera jusqu’à la fin. L’Église reconnaîtra de nouveau dans la foi et la prière son vrai centre et elle expérimentera de nouveau les sacrements comme célébration et non comme un problème de structure liturgique.

Ce sera une Église intériorisée, qui s’aspirera pas à un rôle politique et ne flirtera ni avec la gauche ni avec la droite. Cela sera difficile. En effet, le processus de cristallisation et la clarification lui coûtera aussi de précieuses forces. Elle deviendra pauvre, une Église des petits. Le processus sera encore plus difficile parce qu’elle devra éliminer aussi bien l’étroitesse de vue de type sectaire que le volontariat généreux. On peut prédire que tout cela demandera du temps. Le processus sera large et laborieux, comparable à ce chemin qui a conduit des faux progressismes, à la veille de la Révolution française – quand même parmi les évêques il était de mode de ridiculiser les dogmes et si souvent même de prétendre que l’existence de Dieu était tout sauf sûre[9] – jusqu’au renouveau du 19ème siècle. Mais après l’épreuve de ces divisions surgira, d’une Église intériorisée et simplifiée, une grande force, parce que les êtres humains seront indiciblement seuls dans un monde entièrement planifié. Ils expérimenteront, quand Dieu aura complètement disparu pour eux, leur absolue et horrible pauvreté. Et alors ils découvriront la petite communauté des croyants comme quelque chose de totalement nouveau. Christ une espérance importante pour eux, comme une réponse qu’ils ont longtemps cherchée à tâtons. Il me paraît certain, à moi, que l’Église doit s’attendre à des temps bien difficiles. Sa véritable crise a aujourd’hui à peine commencé. Il faut compter sur de fortes secousses. Mais je suis aussi totalement certain de ce qui demeurera à la fin : non l’Église d’un culte politique, qui a déjà échoué avec Gobel, mais bien l’Église de la foi. Certainement elle ne sera plus jamais la force dominante dans la société, dans la mesure où elle l’a été jusqu’il y a peu. Mais elle fleurira de nouveau et se fera visible pour les êtres humains comme la patrie qui leur donne vie et espérance au-delà de la mort.



[1]Cité dans F.X. Seppelt – G. Schwaiger, Geschichte der Päpste, Kösel, München 1964, pp. 367-368. Cf. aussi l’exposition que l’on trouve dans L.J. Rogier – G. de Bertier de Sauvigny, Geschichte der Kirche IV, Benziger, Einsiedeln 1966, pp. 177ss. G. de Bertier de Sauvigny résume la situation à la fin de la période concernée par l’illustration : « en bref : si au début du 19ème siècle, le christianisme avait encore quelques chances de subsister, les Églises issues de la Réforme en avaient davantage que l’Église catholique, frappée à la tête en ses membres » (p. 181).

[2]Cf. l’article instructif sur Wessenberg de l’archevêque C. Gröber dans la première édition du LThK X, col. 835-839 ; LThK2 X, col. 1064ss (W. Müller). K. Aland a commencé l’édition des œuvres de Wessenberg.

[3]Cf. les textes dans le Denzinger-Schönmetzer 2600-2700, specialement 2602, 2603, 2606, 2628 (texte latin et français dans Heinrich Denzinger – Peter Hünermann, Symboles et définitions de la foi catholique, Paris, Cerf, 1996, pp. 594-626). Cf. L. Willaert, «Synode von Pistoia», dans LThK2 VIII, col. 524-525.

[4]Cf. L.J. Rogier, Geschichte der Kirche IV, op. cit., pp. 133ss.

[5]A. Schmid, Geschichte des Georgianums in München, Pustet, Regensburg 1894, pp. 228ss.

[6]Sur Sailer, cf. spécialement I. Weilner, Gottselige Innigkeit. Die Grundhaltung der religiösen Seele nach J.M. Sailer, Pustet, Regensburg 1949; Id., «J.M. Sailer, Christliche Innerlichkeit», dans J. Sudbrack – J. Walsh [eds.] Grosse Gestalten christlicher Spiritualität, Echter, Würzburg 1969, pp. 322-342. Sur P.B. Zimmer, cf. la thèse doctorale défendue à Tübingen par P. Schäfer, Philosophie und Theologie im Übergang von der Aufklärung zur Romantik, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen 1971.

[7]Cf. H. Gollowitzer, «Drei Bäckerjungen»: Catholica 23 (1969), pp. 147-153.

[8]Sur cette question, cf. les extraordinaires considérations de H. de Lubac, «Der Heilige von morgen», dans Geheimnis aus dem wir leben, Benziger, Einsiedeln 1967, pp. 155-162; Id., «L’Église dans la crise actuelle»: Nouvelle Revue théol. 91 (1969), pp. 580-596, spécialement pp. 592ss.

[9]Cf. L.J. Rogier, op. cit., p. 121.

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B
<br /> Merci pour ce merveilleux texte, tellement d'a-propos, qui ne fait que confirmer les qualites de notre Saint-Pere.<br /> Je me permets, avec la reference de votre lien, de le diffuser.<br /> <br /> <br />
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